Ce sont des coups de cœur, parfois des coups de gueule
!
Nous les livrons à vos critiques, à
vos réactions, leur but étant toujours, justement, de faire
réagir.
A la bonne vôtre !
N°1
L'honnêteté…
Il y a quelques années de cela, je m'étais
interrogé sur la validité de certaines méthodes éducatives,
et j'avais posé la question au médecin-psychiatre qui dirigeait
le service où j'effectuais mon stage. Je savais, pour y vivre depuis
plusieurs semaines, que ce service n'employait pas ces méthodes.
Sa réponse a été claire: "Pourquoi pas ?" Devant
ma surprise, car j'attendais une condamnation, mais surtout sa justification
(ma démarche était-elle honnête ?), il m'a expliqué.
Ce qui est important, c'est l'attitude de la personne
qui emploie une ou l'autre méthode. La validité ne se situe
pas dans la méthode, mais dans l'utilisateur.
La méthode n'est qu'un outil, inerte, sans âme.
C'est la personne qui agit qui lui donne, à la fois sens et valeur.
Et il faut toujours conserver, à l'égard de l'outil qu'on
emploie, une distance qui l'objective, ou bien elle devient une idéologie.
L'honnêteté consiste à accepter de se soumettre, et
de soumettre son action à la critique. A l'autocritique tout d'abord.
C'est-à-dire accepter de reconnaître ses erreurs, de les imputer
éventuellement à son action, à sa méthode,
à sa démarche, accepter de remettre celles-ci en cause. A
la critique des autres, ensuite. Il faut accepter le regard de l'environnement
sur son action, le contrôle.
A ces conditions, toute méthode acquiert validité
si elle part d'une véritable démarche pragmatique: évaluation
des potentiels de l'enfant (actuels ou "émergents"), détermination
des finalités et des objectifs, des moyens, de la durée,
des critères d'évaluation… Comme tout projet.
A titre d'exemple, nous avons pris contact avec le G.R.A.P.
(Groupe de Recherche sur l'Autisme et le Polyhandicap), à l'occasion
de sa Journée d'Etude, en mars 1996. Nous interrogions le G.R.A.P.
à propos des méthodes telles que celles de Mme VEXIAUX. Voici,
plus bas, la demande et la réponse.
L'honnêteté aurait peut-être été
de faire une démarche vers l'auteur de la méthode ? Il n'est
pas encore dit que nous ne le ferons pas. Ne serait-ce que par souci d'honnêteté.
N°2
Eaux-fortes…
Il y a quelques années, pour décrire certaines
attitudes de mes collègues de travail, j'avais défini ce
que j'ai appelé la valorisation en creux. Ce comportement s'assimile
à la technique de gravure sur métal à l'acide nitrique,
qui s'appelle "eau-forte". Le principe est que pour mettre quelque chose
en valeur, il faut détruire ce qui l'entoure.
Dans les relations humaines cela consiste à décrier
ses collègues, ses voisins… afin que seule demeure en vue la personne
qui l'utilise. Ou à dénigrer le travail des autres, à
déprécier leurs actions, dans le seul but de se mettre, soi-même,
en valeur. C'est le principe de l'eau-forte.
Mais c'est un système très relatif, car
il est tributaire de la solvabilité de l'environnement. Et on ne
se met en valeur que par rapport à ce qu'on parvient à dégrader.
La valorisation en creux est destinée d'abord aux observateurs,
aux yeux de qui on considère important de se mettre en vue. Mais
aussi à l'égard de soi : on cherche à se duper soi-même.
Mais "Que l'âne soit bête ne rend pas le
mouton intelligent" dit le proverbe hittite.
Ce qui est important, c'est la valorisation de l'objet
lui-même. En soi, et non par rapport à ce qui l'entoure. Car
la valorisation en creux ne fonctionne que par rapport à un environnement
dévalué. En lui-même, dans l'absolu, l'objet n'acquiert
aucune valeur.
Dans notre milieu, quand on ne peut pas utiliser ses
collègues, on peut également utiliser les enfants ! Selon
l'éternel principe qu'au royaume des aveugles les borgnes sont rois.
Ici, par rapport aux enfants, on paraît sain. On se rassure à
bon compte.
Cependant la destruction est réelle, l'acide ronge.
On dégrade l'autre en lui-même.
La valorisation en creux est donc à proscrire,
sous toutes ses formes, que nous sommes tous tentés d'utiliser,
à un moment ou à un autre, par facilité, par faiblesse.
Et gardons l'eau-forte à sa destination artistique.
Voir la dernière page de couverture.
N°3
Parler aux murs…
Acte I : La maman a prévu d'emmener son enfant
(psychotique) chez le dentiste. Depuis la dernière visite, où
le praticien lui a fait mal, l'enfant ne veut plus en entendre parler,
et panique dès qu'il approche de la maison du dentiste. La maman
me parle en présence de son enfant : "Je ne lui ai pas dit que je
l'emmenais chez le dentiste, il aurait paniqué…" Son fils est à
côté d'elle, mais comme elle ne lui parle pas, il n'entend
pas…
Acte II : Un enfant sans langage ni éducation,
sauvage, change de groupe. L'a-t-on prévenu du changement ? "Non,
pourquoi ?" C'est vrai qu'il ne parle pas.
Acte III : Une douzaine de garçons, pré-adolescents,
se battent comme des chiffonniers dans la cour. On les punit. Leur a-t-on
énoncé la défense de se frapper ? Non, pourquoi ?
Observation d'une stagiaire de passage, un peu attentive: "Il n'y a pas
de règlement intérieur pour les enfants" ? Pourquoi
? Ils sont « hors-la-loi » ?
Leur parler ? Autant parler aux murs ! Ils ne comprennent
pas. Ils ne sont pas capable de comprendre ce qu'on dit.
Et alors, ne dit-on pas que les murs ont des oreilles
?
On pense éduquer des enfants, ceux d'ici ou ceux
d'ailleurs, en ne leur adressant pas la parole, en ne leur disant pas ce
qu'ils ont le "droit" ou la "défense" de faire. Pourtant, ce qui
rend vivant, c'est le langage.
Loi et langage. La loi s'énonce dans le verbe.
Et le verbe se fait chair… (sommes-nous capable de leur expliquer ?).
Il ne faut pas nécessairement combattre l'idée
d'enfoncer les portes ouvertes… Elles ne sont pas forcément ouvertes
pour tout le monde, ni même entrouvertes…
L'article sur Lao-Tseu nous en donnera des illustrations,
sur un thème que nous retrouverons dans de prochains numéros,
et également, mais un peu plus tard, dans la « fonction alpha
».
N°4
Jeux d'rôles…
La réaction d'une collègue me fait penser
à la description des combats de fourmis de B. Werber : quand deux
fourmis s'affrontent, elles adoptent des attitudes complémentaires
: l'une prenant tout de suite le rôle du vain-queur, l'autre le rôle
du vaincu. Et le combat se déroule dans cette perspective, le vaincu
se résignant à son rôle.
Quel rapport avec les enfants ? Les enfants jouent le
rôle que nous attendons d'eux : tel qu'on prend pour un sauvage,
sera, effectivement, sauvage ; tel qui nous fait peur, nous terrifiera,
etc… Cela paraît simpliste ?
Il y a, toujours et partout, "pratique à plu-sieurs".
On en est rarement conscient. Alors qu'en réalité, on vit
dans un "Palais des Glaces". Quand je m'adresse à toi, l'image que
je me fais de moi s'adresse à l'image que je me fais de toi (et
ce discours ne s'adresse qu'à moi), et quand tu me réponds,
l'image que tu te fais de toi s'adresse à l'image que tu te fais
de moi (et ce discours ne s'adresse qu'à toi). D'où le nombre
de "mal-entendus", et à la difficulté de communication. Pourquoi
? Parce que nous sommes comme des icebergs : la partie que l'on voit, dont
on est conscient, qui émerge, n'est qu'une petite partie ; le reste,
qui flotte sous la surface, est invisible, et pourtant elle est là,
active, à notre insu.
Dans la relation, nous projetons sur l'autre, et bien
souvent, l'enfant, dont la personnalité n'est pas construite, s'identifie
à cette projec-tion, répondant ainsi à notre demande
incon-sciente. C'est beaucoup plus difficile quand la demande est contradictoire,
impossible à sa-tisfaire : l'enfant "disjoncte" ! C'est le cas dans
le "double bind", décrit par Bateson.
Nous-mêmes, qu'attendons-nous de l'en-fant ? Sommes-nous
toujours cohérent ? Ou ne le mettons-nous pas souvent hors
d'état de répondre à nos exigences ?
N°5
Maintenance !
Le mot a été lancé comme une provocation
par le di-recteur d'un IME d'Alsace, au Colloque de Strasbourg. Après
les interventions de plusieurs psychiatres de re-nom, de plusieurs représentant
d'établissements pilotes… Beaucoup de théorie : discours
de professeurs émérites, de psychiatres de renom… Interrogation
sur la réalité de ceux qui "vont au charbon", qui sont confrontés
aux "pipi-cacas", sur notre réalité au quotidien, bien loin
des grandes théories. Une participante, scandalisée par cette
intervention, s'écria : "Le personnel, ce n'est pas des ascenseurs
!…"
Quel est notre outil de travail auprès des
enfants psychotiques, autistes ? Des techniques éducatives ? Du
matériel sophistiqué ? Non, l'outil de travail c'est nous,
notre personnalité. Nous travaillons avec ce que nous sommes, dans
la relation à l'enfant, à l'adolescent, à l'adulte.
Perfectionner notre outil de travail, pour nous, c'est nous perfectionner
nous-mêmes.
Notre travail sur la Fonction Alpha nous a montré
que c'est à travers ce que nous ressentions que nous pouvions comprendre
ce que vivait l'autre, qui ne nous donne pas les clés, enfermé
dans son silence ou dans l'étrangeté de ses symptômes.
Nous avons bien écouté et interrogé
les intervenants, tous en sont convaincus : l'importance des gens en contact
avec les jeunes. Qu'ils parlent de holding, de soutien, ou de maintenance
(car le mot, boutade à l'origine, a été repris par
tous), c'est bien de cela qu'il s'agit.
Nous sommes en plein dans la vocation des Appaches. Par
la réflexion que nous voulons permanente sur ce que nous faisons.
Par la formation que nous voulons mettre en place (les premières
réponses arrivent). Par les questionnements, les interpellations,
les informations que nous voulons brasser dans ce journal.
Notre maintenance, nous devons la gérer nous-mêmes,
où que nous soyons, qui que nous soyons, ne pas attendre, mettre
en place, demander, solliciter. Nous devons être les propres acteurs
de qualification de notre travail (qualification dans le sens de donner
une meilleure qualité à notre intervention).
Nous espérons en témoigner ici.
N°6
L'œuf ou la poule ?
Conséquence du Colloque de Strasbourg ? Réponse
aux critiques ? La question des rapports de la théorie et de la
pratique se pose en permanence ? Qui prime, qui précède ?
Pour nous qui travaillons au jour le jour, nous serions tentés de
dire : la pratique. L'article du Dr GABBAÏ va dans le sens d'une réponse.
Pourtant, nous avons reçu une formation théorique,
dans des écoles, puis, après, des stages dans des services.
Apprendre sur le tas ? Beaucoup d'entre nous l'ont fait, bénévoles
ou en découverte professionnelle, en préstage… Pour autant,
arrivions-nous "vierges", sans idées préconçues ?
Je ne crois pas. Ce "choix" est déjà sous-tendu.
Le journal des Appaches n'est pas exempt de ces débats.
Parti sur des questions simples, concrètes, nous en sommes arrivés
à des exposés magistraux que beaucoup trouvent bien éloignés
de nos pratiques. Critique entendue. Nous allons revenir au concret, partir
de la réalité. Cela répond-il à la question
philosophique du début ? Pas sûr, mais faut-il toujours répondre
aux questions philosophiques ?
Il serait facile de retourner la critique aux lecteurs.
Quelle est votre participation ? Ne nous avez-vous pas laisser dériver
? Interactif : ce devait être le caractère principal du journal.
Il est bien difficile de savoir ce qui empêche ? Chacun a sa propre
réponse. Les entendez-vous d'ici ? Voir le nombre de réponses
au sondage. Voir l'importance du courrier des lecteurs…
La rédaction ne cherche pas à s'exonérer
de sa responsabilité. Bouillant d'impatience, elle a foncé
bille en tête. Message reçu. On re-forme. On rapprend la patience.
On commence tout de suite, en laissant une étude de situation (ô
brève) empiéter sur l'Initiation à la psychanalyse.
Nous répondons donc : d'abord la pratique, à
quoi, seulement, la théorie doit donner sens, éclairer.
Qui a dit : « En sortant du boulot je n'ai plus
rien envie de donner ». Et au boulot, qu'est-ce qu'on donne ? Et
en "échange" de quoi ?
N°7
En jeu…
Est-ce que j'aurai l'air de radoter si, une fois de plus,
je parle de ce qui est "en jeu" dans notre relation avec l'enfant psychotique
? Redondance nécessaire. Chaque cas, chaque situation nous le rappellent,
quotidiennement : on ne peut pas travailler "à distance". Nous sommes
"mouillés" dans notre intervention. A travers les cas et les situations
que nous évoquons, nous découvrons toujours deux aspects,
divergents (et pourtant complémentaires) : un aspect technique,
méthodologique, à quoi on peut répondre en faisant
appel à la pédagogie, à des méthodes… et un
aspect subjectif, relationnel, à quoi… on ne peut pas répondre.
Du moins par des techniques, des choses prises ailleurs et plaquées.
Je peux utiliser la méthode du Docteur Muche pour
répondre au déficit scolaire du jeune Truc. Je n'ai rien
à ma disposition pour répondre au malaise qu'il provoque
en moi, que je ne peux m'avouer et encore moins avouer à d'autres…
Je suis démuni, encombré pourtant, intoxiqué par ce
malaise. Une seule façon de s'en occuper : les mots, les mots destinés
à d'autres.
Qu'est-ce qui est "Enjeu", ici ? Moi. Face au jeune Truc,
c'est moi qui suis en jeu. De qui faut-il s'occuper ? Du jeune Truc ?
Non, de moi. Maintenance.
Qui n'a pas vécu cette situation : blocage complet
avec un enfant, contact impossible, défenses mutuelles… On en parle
(synthèse, reprise, groupe de parole…), on vide son sac, on met
en mots le blocage, l'impossible, le doute, les questions… Et le lendemain,
tout se délie, tout s'éclaire, tout sourit ! Que s'est-il
passé ? Rien chez l'enfant, c'est sûr, mais dans notre attitude,
dans notre disposition, dans notre regard ? Maintenance.
Une histoire étrange pour clore ce numéro.
Quel rapport direz-vous ? Parce que dans cet univers à la Kafka,
il surgit toujours une étincelle d'humanité. Sur le décor
de murs de casernes se dessine un sourire humain. Vivons nous loin du Château
? Et ce sourire qui, après avoir tendu la main pendant des mois,
éclaire le visage de cet enfant : humanité.
N°8
Une nouvelle année s'annonce. Elle est à
nos portes. Avec son lot d'inconnu. Qui laisse place à toutes les
espérances, à toutes les inquiétudes aussi, quant
à l'avenir. Dans tous les domaines : économique, stratégique,
emploi, agréments, ouvertures, créations… projets.
Mystère du temps qui s'écoule, les grains
du sablier échappent à nos doigts, qu'ils soient tendus pour
projeter ou serrés pour conserver, on ne peut les retenir. Nous
le savons. Nous. Nous avons la conscience éveillée.
Changeons de point de vue. Mettons nous à la place
des enfants, autistes, psychotiques… Comment vivent-ils le temps qui passe
? Quelle conscience ont-ils de ce phénomène qui les atteints
tout comme nous : ils vieillissent.
Je pense à une enfant qui, pour parler de l'heure
ou de son âge, alternait (de façon aléatoire ?) "dix
heures" et "onze ans" , les deux propositions évoquant le temps
sans distinction. L'inscription est-elle la même ? Et alors, les
événements qui ponctuent le calendrier des adultes ont-ils
une valeur de repères pour eux : Noël ? Nouvel An ? Ou
ce ne sont que des incidents dans un parcours statique et uniforme ?
Nous "vivons" le temps. Nous est-il possible d'imaginer
un univers "hors temps", où l'écoulement ne se reconnaît
pas, ou est même nié ?
N°9
C'est pour ton bien…
En 1989, les (fameuses) Annexes XXIV définis-saient
la collaboration des éducateurs (dans les IME et assimilés)
avec les parents. Quelles annexes définiront la collaboration avec
les enfants ?
"Est-il juste et bon de concevoir le bien d'autrui sans
qu'il ait voix au chapitre" interrogeait C. HERFRAY ? Il faut dire que
dans tout le milieu social (au sens le plus large), le "bien" est dispensé
par des fonctionnaires (le plus souvent) bien étrangers au monde
de ceux qu'ils "aident" ? Faut-il entendre autre chose dans l'occupation
des ASSEDIC par les chômeurs qu'une protestation contre cet état
de fait? Où est la concertation, la participation, la collaboration
?
Nous-mêmes, éducateurs, soignants… sommes-nous
les adultes qui savons tout, tout ce qui est "bon pour l'enfant" ? Certainement
pas. Pourtant nous agissons la plupart du temps comme si nous étions
ceux qui savent et qui dispensent, avec bonté, voire efficacité,
nos services à nos patients enfants !
Il m'est arrivé d'expliquer à des enfants,
psychotiques, qu'eux seuls connaissaient le chemin qu'ils devaient parcourir,
que moi-même j'ignorais, et que je ne pouvais que les accompagner.
Mon "projet était de les aider, de les soutenir, pas de leur dire
où ils devaient aller, ni comment.
Faire, avoir, rêver… un projet, pour, sur, avec…
un enfant : quel sens cela a-t-il pour lui et pour nous ?
"C'est l'enfant qui fait le travail thérapeutique
et nul ne peut le faire à sa place ; le soignant peut et doit l'aider
dans sa démarche, créer les conditions de sa réussite."
*
Respecter, c'est aussi tenir compte de l'avis de l'autre,
même pour répondre à ses besoins.
* FAVRE (J.-P.) & coll., Psychopédagogie de
l'enfant psy-chotique, Masson - Médecine et Psychothérapie,
1985
N°10
Un an déjà !
Alors, un éditorial en forme de bilan ? Pourquoi
pas. Allons-y. Plusieurs démarches parallèles :
Un groupe s'est constitué, assez vite soudé.
Il a augmenté, diminué, il a fluctué. Difficile de
concilier les attentes individuelles avec les exigences de vie d'un groupe.
Mais le "groupe de parole" fonctionne.
Un journal ! Vous en savez quelque chose. A vous donc
d'en juger. Pour notre part, nous regrettons le manque de participation
de nos lecteurs, le manque d'intérêt peut-être de la
part de la base ? Difficile de mobiliser des personnes qui travaillent
dans des conditions (psychologiques et/ou matérielles) difficiles.
Ce n'est vraiment pas une sinécure de s'occuper de ces enfants,
c'est vrai, aussi, une fois la journée ou le service terminés,
on n'a plus très envie de se farcir encore une lecture, une réflexion…
Alors on néglige complètement la maintenance !
Une association qui organise, projette, forme, informe…
Vous en avez des échos dans les colonnes "Formations" et "Projets",
un peu plus loin.
Alors, bilan positif ? Oui, mais nous ne nous endormirons
pas dessus. Et puisque nous parlons beaucoup du temps dans ce numéro,
donnons-nous rendez-vous à l'année prochaine !
N°11
Le vrai et le faux
Qu'est-ce qui est "juste" ? C'est toujours une question
d'appréciation. En fonction d'un système de référence,
par rapport auquel on évalue. On n'évalue jamais dans l'absolu,
il n'y a pas d'absolu : de système de référence universel.
EINSTEIN a montré que l'espace, comme le temps, étaient relatifs
à l'observateur. En psychologie comme en physique, on élabore
des "modèles" théoriques, puis on vérifie s'ils "collent"
avec la réalité. Quel est alors le "bon modèle" ?
Tout simplement celui qui fonctionne dans la réalité. Mais
il n'y a aucun modèle qui fonctionne totalement, toujours, partout…
Même en physique.
Ce que nous montrent les psychothérapies (à
propos desquelles nous commençons une série d'articles dans
ce numéro), c'est que toutes les techniques ont des résultats,
même les plus farfelues. Mais ces résultats sont davantage
liés à la relation thérapeute-patient qu'à
la technique (c'est la question du transfert, qui existe dans toutes les
formes de thérapie).
Vous êtes-vous déjà amusé
à créer des nouvelles thérapies ? Facile : pour inventer
leur nom, il suffit d'ajouter le suffixe "-thérapie" à une
racine grecque, puis de trouver une définition. Par exemple, la
"chrono-thérapie", qui consiste à soigner en laissant faire
le temps, la gyro-thérapie qui consiste à soigner en tournant
en rond, l'antho-thérapie, qui consiste à se soigner en cueillant
des fleurs, etc…
Plus sérieusement : ce qui est juste, c'est ce
qui marche ! Point à la ligne.
Maintenant, ce qui marche avec Paul ne marche pas nécessairement
avec Jacques, ce qui marche avec Pierre aujourd'hui ne marchera pas nécessairement
demain avec Pierre, car Pierre a changé. Prétendre qu'une
technique est une "universelle panacée" (comme le sirop Typhon),
c'est verser dans une idéologie intégriste.
L'homme est un composé bio-psycho-social (voir
ZARIFIAN, "Les Jardiniers de la Folie")… Aucune "technique" ne s'adressant
qu'à un seul aspect, ou en négligeant un, ne peut prétendre
tout contrôler, remédier à tout, être la seule,
l'unique, la meilleure. Ça n'a aucun sens. On ne peut "soigner"
un enfant que dans sa totalité, sa globalité…
N°12
Le masque et la plume.
Nous nous promenons comme des acteurs du théâtre
antique. En portant sur nos visages des masques qui correspondent aux sentiments
que nous voulons évoquer. Que nous voulons évoquer, que nous
voulons donner à voir. Mais qu'en est-il de nos véritables
sentiments, de notre véritable personnalité ? Nous la dissimulons
soigneusement, au regard des autres, et à notre propre regard ?
Où nous dévoilons-nous vraiment ? Dans une relation de confiance,
dans l'intimité de notre vie privée (privée du regard
d'autrui ?)…
Et encore ?…
Nous évitons tout ce qui nous "démasque",
nous dévoile.
Alors, l'écriture ? Nous y laissons une trace
de nous-mêmes que d'autres peuvent suivre, analyser (du grec analusis
: dissoudre). L'article de Catherine POISSON, à propos du "risque
de l'écriture", décrit cette situation pour les enfants "dysharmoniques"…
Pour nous, professionnels, qu'est-ce qui est en jeu dans
l'écrit ?
Le titre de l'éditorial est aussi celui d'une
collection de livres policiers. Quels fugitifs sommes-nous pour craindre
ainsi de sentir quelqu'un sur nos "traces" ?
Et pourtant, que les écrits sont importants dans
notre métier : on nous en demande sans arrêt ! Projet, rapport,
synthèse, bilan… Ne parlons pas de ceux qui sont en formation !
Pourquoi ? "Savoir écrire", comme "savoir parler",
sont synonymes de savoir, de pouvoir, de domination. Heureux l'orateur
(ou le baratineur) ! Heureux l'écrivain (idem) ! Comme si,
eux, avaient davantage de richesse. Non, ils n'ont simplement pas la crainte
de l'exprimer, ils n'ont pas la crainte du regard, de l'oreille de l'autre,
jugé impitoyable. Ou ils la défient. Ou ils l'ont dominée.
Alors : jetons le masque et prenons la plume !
N°13
Une bonne éducatrice !…
Réfectoire : à la table voisine de la mienne
mangent cinq enfants sans adulte.
Annie est mongolienne. "Mongolienne" car elle en présente
tellement les caractéristiques qu'on ne peut pas dire "trisomique
21" : ronde de partout, yeux bridés, doigts boudinés… comportement
typique…
Elle est à table avec quatre autres enfants très
démunis (débilités moyennes ou profonde, avec importants
troubles associés, en particulier de la communication, de la relation…).
Dès le début du repas, Annie a pris les
commandes. Elle sert les autres enfants, se lève pour leur couper
la viande, partage le pain, sert à boire avec la cruche, partage
le dessert en plus (yoghourt) entre les enfants, débarrasse la table.
En plus, elle fait participer les autres enfants, qui passent leur assiette,
leur verre, leurs couverts…
Elle n'a prononcé que très peu de mots
: les prénoms des enfants, "donne", "tiens". De même, les
autres, qui pour la plupart sont des perturbateurs des repas habituels,
n'ont pas dit un mot de trop, n'ont pas eu un seul comportement "remarquable".
Plus : je crois que personne ne s'est rendu compte qu'il n'y avait pas
d'adulte à cette table ! Et pas davantage les personnes qui assuraient
le service ce jour-là !
Que s'est-il passé ? Et de si important pour en
faire un éditorial ? Spontanéité. Annie a agi tout
à fait spontanément, naturellement, sans anticiper sur les
réactions de ses commensaux, sans rien provoquer par son attitude,
par son attente. Elle n'avait rien à démontrer.
Cela me paraît être une grande leçon
pour nous autres "sachant-tout". Et surtout une leçon d'humilité.
Sûr, elle ne leur a rien appris (et encore), mais elle a vécu
quelque chose dans cet instant, mais ils ont vécu, eux aussi,
quelque chose, de calme, d'apaisant. Quelle est la valeur de cet instant
pour chacun des enfants ?
Nous autres adultes bénéficions de tellement
de "privilèges" : notre diplôme, notre statut, notre responsabilité,
notre savoir… Tout ceci nous protégeant soigneusement d'une véritable
rencontre, humaine, où nous risquerions de nous reconnaître
faibles, incertains, ignorants, vulnérables…
Alors, merci Annie.
N°14
The last but not least !
Voici le dernier numéro de la saison 97-98. Vacances
(pour nous) jusqu'en septembre. Alors ? Qu'est-ce qu'il y a au menu ? Nous
vous avons concocté un numéro spécial sur l'Observation
du bébé. Gros volume (le journal, pas le bébé)
! De quoi occuper l'été, sur la plage ou ailleurs…
C'est aussi la fin de la première année
: dix numéros. Alors, on fait un bilan ? D'accord, mais ce sont
vos opinions que nous attendons. Avez-vous remarqué cette sempiternelle
feuille volante au milieu du journal ? D'un côté, c'est écrit
"SONDAGE" Dites-nous ce que vous en pensez ? Afin qu'à la rentrée,
en septembre, nous sachions dans quelle direction aller. Pas de changements
de forme en perspective, mais au niveau du contenu, il faut voir : plus
de théorie ? et lesquelles ? plus de pratiques ? et lesquelles ?
plus de comptes-rendus ? mais rendent-ils bien compte ? plus d'articles
originaux ? que les futurs auteurs lèvent la main !
Et nous ? Quels sont nos souhaits ? Il y en a un en particulier
: plus d'interactivité. Agir entre. Entre les théories et
les pratiques. Surtout "entre nous". Entre vos idées sur la théorie.
Avec vos pratiques quotidiennes. Avec vos cas, vos situations. Avec vos
questions. Avec vos histoires. Ah oui ! Cela paraissait une idée
simple ! C'est aussi ce que veut suggérer l'histoire de ce mois-ci.
Pas coupables (et de quoi donc ?). Mais tous responsables. De quoi ? Mais
de ce que nous vivons, de ce que nous subissons, de ce dont nous nous plaignons.
Nous essayons de nous diffuser plus largement (le nombre
d'abonnés augmente sans cesse), de nous faire connaître plus
largement. Pas pour accroître les "bénéfices", mais
pour élargir la base sur laquelle repose l'interactivité.
C'est vrai que ce serait un bénéfice important !
Alors, bonnes vacances ! Bonne lecture !
Et… à vos feuilles de sondage !
N°15
Des illusions !
Ah oui ! Je rentre de vacances… J'avais oublié
que le social se "manage" comme une entreprise. Je croyais, naïf,
que dans le social on faisait du… social !
Management ! Gestion des Ressources Humaines !
Bon. Concrètement, ça veut dire quoi ?
Ça veut dire gérer des choses gérables… Simplement
: on ne tient plus compte de l'irrationnel. Chez l'individu, on s'occupe
de ce qui est mesurable, quantifiable, évaluable, projetable, et-cetera-ble…
Le reste ? Evacué. On fait comme si. La Fée Management abolit
les "troubles de la personnalité" : il n'y a plus que des comportements
à discipliner ! La Fée Management abolit les "troubles de
la relation" : il n'y a plus que des apprentissages à faire passer.
C'est sûr, il ne faut pas regarder de trop près.
Il ne faut pas s'interroger sur les petits dérapages, sur les petites
résistances.
Et pour quelles raisons, tout cela ?
Parce que l'humain fait peur. La folie rend fou ! C'est
intolérable. Chez les enfants comme chez les adultes, d'ailleurs.
Alors "on" prend les décisions pour les enfants.
Pour les adultes aussi. Quoi ! Discussion est source de problèmes.
Alors on décide et on discute après… Quant à discuter
avec les enfants !…
My taylorism is rich !
Dans ce monde "néo-libéral" de fin de siècle,
l'économie est reine. Que représente le "social" ? L'écume
que laissent les vagues en se retirant. Pas plus. Aux yeux de qui, et pour
quelles mauvaises consciences ?
Pourtant, comme le disait Janusz Korczak, plus les choses,
autour de nous, sont mesquines, sordides, etc, plus nous devons être
solidaires.
Que voulez-vous ! Moi, je vis d'utopies !
Utopie ! C'est un pays où on peut vivre, travailler,
cohabiter, dans un esprit de solidarité, de fraternité. Où
le travail avec les enfants n'est pas un travail sur les enfants, ou contre
les enfants. Où je peux dire, où on peut se dire "tu as fait
une connerie" sans tuer l'autre. Où on peut s'entendre dire toutes
ses vérités, et pas seulement les quatre, et où on
peut les dire aussi. Sans peur de jugement. Un pays qui ne soit pas de
"management", d'économie planifiée, de "rationalisation de
choix budgétaires"…
N°16
Le pliage de serviette !
Nous avons eu l’occasion de revoir le film « Miracle
en Alabama », qui raconte l’histoire d’Helen Keller, cette petite
fille devenue aveugle, sourde et muette. Ses parents demandèrent
à Ann Sullivan de s’occuper d’elle.
Après plusieurs scènes dramatiques, la
petite fille est parvenue à plier sa serviette de table toute seule.
La famille se serait contenté de ce résultat déjà
important, alors que la rééducatrice pensait que cette action
n’avait pas de sens pour l’enfant, que ce n’était qu’un dressage,
qu’il fallait aider l’enfant à parvenir au sens. Pas agir pour agir,
mais agir avec sens. Dépasser le pliage des serviettes…
Et nous ? Que faisons-nous ? Ne nous contentons-nous
pas du pliage des serviettes ? De l’apprentissage de gestes ? Certes, c’est
important, de maîtriser ces gestes, utile à la vie de la personne.
Mais ne faut-il pas voir (sinon aller) plus loin ? Donner du sens…Et cela
ne peut plus s’acquérir par un dressage. Dressage. Le mot choque
? Mais que faisons-nous par répétition, rabâchage,
conditionnement ? Du dressage. Cela fait très peu appel à
l’intelligence, pas du tout à la conscience de la personne. Agir
exclusivement dans la direction de l’obéissance de l’enfant à
des consignes, à écouter, à écouter, c’est
aliéner le sens. Ne dit-on pas "science sans conscience n’est que
ruine de l’âme" ? Ce n'est pas valable pour les plus démunis
des plus démunis ? J'en ai vu combien qui lisaient John Steinbeck,
articulant bien tout, respectant la ponctuation… sans en comprendre un
seul mot !… Mais on leur avait appris à lire. A plier leur serviette…
S'il faut, ou passer par là, ou le faire nécessairement,
ne passons pas à côté de l'essentiel ("invisible pour
les yeux", paraît-il… si peu évaluable) qui est la conscience
de soi, qui se reconnaît à travers le regard de l'autre, à
travers la relation à l'autre. Miroir, miroir…
N°17
La tolérance !
Des réactions quant à la signification de
notre anti-gyrostrophisme du mois dernier : "La tolérance est la
pire des hypocrisies." Donc explications.
C'est une citation de Sartre, dans "Réflexion
sur la question juive". Sartre y démonte les mécanismes du
racisme et de l'antisémitisme.
Il y a toujours une espèce de commisération
condescendante (pléonasme ?) dans la tolérance. Ça
laisse toujours penser (au "toléré") que cette mesure d'acceptation
temporaire, et magnanime, peut cesser à tout moment, du fait de
la volonté arbitraire du (soi-disant) "tolérant". Ou on accepte,
et alors on accepte, point, sans conditions restrictives. Ou on rejette,
et alors on rejette, on explique pourquoi, point. Entre les deux, c'est
une oscillation entre le rejet et l'acceptation. C'est inacceptable. C'est
pire, peut-être que le rejet, comme une épée de Damoclès
toujours suspendue à un fil. Que tient qui ?
Par exemple, quand on entend parler, quelquefois, de
la sexualité des jeunes, de la maternité des filles… Il y
a une sorte de mépris infiniment condescendant difficilement supportable.
Ce sont des personnes racistes qui n'ont rien à faire avec des enfants
! Car un mongolien, un psychotique, c'est bien une autre race, non ? Si
on ne supporte pas la différence, il ne faut pas venir travailler
avec des gens différents.
A moins qu'on ait besoin, soi-même, pour se valoriser,
de se sentir supérieur à quelqu'un. Là, pas de pro-blèmes,
avec les handicapés, on est (toujours ?) supérieur. Pas dans
la réalité (il suffit d'entendre parler certains jeunes),
mais dans le statut qui met les uns d'un côté de la barrière
(les adultes "normaux", ça me fait rire) et les autres de l'autre
côté (les handicapés, avec un "h" fortement aspiré)…
N°18-19
Communiquer !
Nous vous parlerons d'Internet. Plus loin.
Mais à quoi correspond cette course frénétique
à l'information ?
Communiquer : étymologiquement, cela veut dire
"changer ensemble, échanger". Mais est-ce que cela veut dire "être
en relation" ? C'est autre chose ! On choisit des tas de moyens, des interfaces,
pour échanger des infor-mations. Et pourtant, rarement le sentiment
d'isolement a été aussi fort. Chacun "communique", effectivement,
mais d'une bulle bien close, d'un petit territoire bien défendu.
Au vrai, on n'échange plus QUE des informations ! Et le plus souvent
de façon anonyme (pour ne pas dire "pseudonyme").
Nous livrons à votre réflexion cette citation
de Bertolt Brecht, qui date de? 1937.
« Plus nous arrachons des choses à la nature
grâce à l'organisation du travail, aux grandes découvertes
et inventions, plus nous tombons, semble-t-il, dans l'insécurité
de l'existence. Ce n'est pas nous qui domi-nons les choses, mais les choses
qui nous dominent. Or cette apparence subsiste parce que certains hommes,
par l'intermédiaire des choses, dominent d'autres hommes. Nous ne
serons libérés des puissances naturelles que lorsque nous
serons libérés de la violence des hommes. Si nous voulons
profiter en tant qu'hommes de notre connaissance de la nature, il nous
faut ajouter, à notre connaissance de la nature, la connaissance
de la société humaine. »
Réellement, nous vivons dans une civilisation
d'artifices. Non ? Qu'est-ce qui remplace les "rapports humains" ? Les
machines, les appareils de toutes sortes ?
Plus que jamais, nous devons nous poser la question de
ce vers quoi on va, de la valeur réelle des choses, hors artifices.
D'autant plus si on œuvre auprès d'enfants. Nous leur demandons
de sortir de leur monde clos, de leur autisme, mais qu'avons-nous à
leur offrir? de mieux ? Et entre adultes qui les "encadrons", notre "communication"
est-elle tellement réjouissante ?
J'ai en mémoire (!) ces grands yeux ouverts sur
nous. Qui a dit : "Non, les autistes ne viennent pas d'une autre planète"
?
N°20
Qui casse les « rêves » ?
Un IME lambda. Suite à la parution des Annexes
XXIV (du 27/10/89), qu'on a lu, analysé, étudié...
longtemps, on a décidé d'organiser la prise en charge des
"autistes", que les médias ont propulsé sur le devant de
la scène publique. Et donc, selon les modalités de cette
Annexe, on a "monté" un dossier sophistiqué. On accueillait
bien, déjà, des enfants "aux troubles de la personnalité",
mais maintenant, on en redécouvrait. Bref, les besoins sont (largement)
justifiés d'une section particulière pour les accueillir,
d'autant plus qu'on nous promettait des moyens supplémentaires?
En fait, on parlait davantage de "handicaps associés", de "multi
(ou poly, selon les endroits) handicaps", que d'autisme, à proprement
parler. Et on a compté sur quoi on pouvait... compter : postes
supplémentaires, prix de journée "améliorés"?
D'obscures commissions (C.R.I.S.M., C.R.O.S.S?) ont "agréé"
le projet.
Et, finalement, qu'en est-il advenu ? On a accueilli
les jeunes, on a modifié les structures en fonction des nouvelles
données des Annexes. Mais quant il s'est agi des moyens, là,
non, il a fallu faire avec ce qui existait déjà.
"...eût égard aux moyens existants."
Cette phrase est venue mettre un "bémol" aux rêves
en ce qui concerne les autistes pour qui on avait fait, spécialement,
une loi (circulaire du 27/4/95). Généreuse, la loi ! Mais
quand il faut réaliser ! On se heurte au manque de moyens. On ne
crée plus, on redistribue. On ferme des structures pour en ouvrir
d'autres, un peu plus loin.
Pourquoi ? Pourquoi ? Money ! Money !
Parce que nous nous trouvons dans une logique économique.
Une logique de la rentabilité. Une logique de "réduction
des déficits budgétaires". Des charges. Et c'est un "secteur"
nécessairement déficitaire, car il ne rapporte (et ne rapportera)
jamais rien. Pourtant, on reconnaît, paraît-il, le degré
de civilisation d'un peuple à la manière dont il s'occupe
des plus démunis parmi les siens?
Les "polyhandicapés" (quelques soient les handicaps
"associés") ne seront jamais rentables. Ils n'entreront probablement
jamais dans une "logique de consommation". Alors, ils resteront sur la
touche ?
Pour citer Mme GREMY (de Sésame-Autisme) : on
parle beaucoup de l'autisme (textes, débats...), ce qui donne l'impression
que quelque chose se fait, mais en réalité, pour des raisons
budgétaires, rien ne se fait !?
N°21
L'œil du tigre.
Les félins exercent, dit-on, une fascination sur
les humains, surtout les tigres. Pourquoi ? Explication "comportementaliste"
: à cause d'un... stimuli.
Chez les humains, l'excitation sexuelle se traduit (ça
doit être facile à vérifier !) par une dilatation de
la pupille. Cela agit comme un signal, que le partenaire reconnaît
inconsciemment et auquel il ajuste son propre comportement. Quel rapport
avec les tigres ? Eh bien, les félins ont, à l'état...
normal, la pupille relativement plus large, par rapport au reste de l'œil,
que nous les hommes. La fascination qu'ils exercent sur nous est donc une
réaction à un signal sexuel. Qui s'en serait douté
en regardant ces gros chats lascifs ??
Qu'est-ce que ça signifie ? Que nous réagissons,
inconsciemment, à des signaux émis tout aussi inconsciemment.
Pas seulement par les félins, mais aussi par nos congénères
humains. Signaux visuels (voir, par exemple, le livre de Desmond MORRIS
: "La clé des gestes", qui décrit des gestes qui pourraient
bien être des "archétypes" au même titre que l'image
de l'épervier pour les poussins de Konrad LORENTZ), signaux odorants
(on y retrouvera, là aussi, les repères "sexuels", mais n'est-ce
pas une des fonctions qui nécessitent le plus... d'ajustements de
la part des partenaires ?? on y retrouve également des signaux sociaux,
qui expriment la peur, l'agressivité, etc...), signaux sonores (dans
les intonations, les inflexions de la voix?), etc...
Qu'est-ce que nous voulons dire, par là ? L'ensemble
de ces "signaux" qui n'utilisent pas la voie du langage parlé, représentent
une communication tout à fait réelle, bien qu'elle échappe
à notre contrôle conscient. Une sorte de communication "subliminale".
Et nos comportements sociaux, nos comportements relationnels sont réglés
en grande partie par ces signaux-là (voir à ce sujet le livre
de Tim HALL, "La dimension cachée"). Si bien que nos réactions,
très souvent, se fondent sur des "faits" que nous ne percevons pas
consciemment.
Avec les enfants, nous communiquons nos peurs, nos angoisses,
mais aussi notre confiance, notre "sécurité"... D'où,
une fois de plus, l'importance de prendre conscience de nos affects, afin
de savoir ce qui peut agir sur les jeunes, et aussi prendre conscience
de ce qu'ils évoquent en nous.
La relation entre la mère et l'enfant, un moment
fusionnelle, se fonde, elle aussi, sur un rapport étroit de "corps
à corps", très intense, très riche. Mais presque complètement
instinctuel. Ce sont ces échanges qui doivent guider l'ajustement
nécessaire, l'accordage, entre les deux êtres. Est-ce là
le mécanisme de la "projection", de "l'identification projective"
? On peut y reconnaître, aussi, les "éléments bêta"
de BION ? C'est sans doute cet auteur qui a le plus évoqué
ces échanges entre mère et enfant.
Le langage, s'il est la "partie noble" de la communication,
n'en est pas l'unique voie. Il y a, en nous (comme chez les enfants) une
partie "animale", instinctuelle. Il faut en tenir compte.
Quant à définir la part de l'ange et la
part de la bête?
Le Vicomte Paul de La Panouse (créateur et direc-teur du Parc du Château de Thoiry), à qui nous demandions des précisions quant aux informations sur la fascination des félins sur les êtres humains, nous a offert ces quelques réflexions :
« Nous sommes plus proches que nous le pensons du
monde animal pour les moyens d'expression physiologiques et les racines
de nos comportements affectifs. A l'inverse, la pensée réflexive
permet à l'homme d'incarner une dimension de l'être qui, dans
sa nature et dans sa puissance, sont incompatibles avec les limites du
monde instinctif des animaux : l'homme a l'univers pour territoire et il
rêve d'éternité.»
N°22-23
« Dessine-moi un mouton ! »
Une association (qu'importe laquelle, mais c'est une histoire
vraie). Christine fait des remplacements. Elle se marie. Et demande à
prendre quelques jours de congé. On lui laisse poser sa demande,
on les lui accorde, mais on lui précise que, dorénavant (son
"CDD" se termine dans quelques semaines) on ne fera plus appel à
elle? Elle propose aussitôt de laisser tomber ces congés ?
Trop tard ! Pourquoi ? Les gens doivent être là, disponibles
totalement, ne doivent rien demander, ne rien réclamer, ou alors
on ne les prend plus.
C'est quoi cette association ? Un grand groupe indusriel
? Non, une association qui fait "du social" ! Elle fait appel à
des "mercenaires" qui doivent être disponibles, sans failles. On
lui a dit, pourtant qu'elle avait "droit" à ces congés, mais
après l'avoir congédiée...
Qu'est-ce que c'est que ces rapports ?
« Dessine-moi des relations humaines ! »
Pourquoi, dans un établissement géré
par une association de parents, les rapports avec les professionnels, les
salariés, sont-ils aussi fréquemment conflictuels ? Les objectifs
des uns sont-ils différents des objectifs des autres ? On discute
beaucoup, en ce moment, de R.T.T. (Réduction du Temps de Travail),
mais il est souvent question de ne pas accorder "trop de privilèges"
aux éducateurs (ça pour les I.M.E., mais vous pouvez transposer).
Pourquoi ? Mettons de côté les explications psychologiques?
Ce sont les "responsables" qui trouvent que le personnel est "privilégié",
que c'est un "travail de tout repos", que c'est le "Club Méditerranée",
etc? Discours fréquemment entendus. Alors même que le "public"
(le vulgum pecus), ignorant le plus souvent, nous regarde (oui, "nous")
avec respect, voire admiration !
Paradoxe ? « Dessine-moi un mouton ! » Dessine-moi
un champ professionnel où responsables, administrateurs? professionnels
de toutes qualifications, pourraient s'entendre (voire s'écouter),
sans conflits, sur des objectifs concernant les enfants ! Encore un rêve
d'Appache ? Il paraît (c'est Jacques Prévert qui le dit) que
seuls les enfants et les indiens rêvent en couleur ! Je rêve
de ces couleurs dans les couloirs des services médico-socio-éducatifs?
Non, ce n'est rien : juste la promesse de l'été?
« Dessine-moi un mouton ! »
N°24
Vertige !
Tout ce qui est grand commence petit !
Les Appaches se sont penchés sur ce qui se faisait
autour ou à propos de l'autisme. Et c'est le vertige !
Il y a deux sortes de vertiges. Celui où on domine
et c'est la peur du vide... Celui où on se sent tout petit, écrasé
par la masse.
Moteur de recherche en avant, nous sommes partis à
l'aventure sur Internet, histoire de voir ce qui se passait. Et il s'en
passe !
Parents, professionnels. Institutions publiques ou privées.
Particuliers? Le premier "moteur de recherche" venu donne près de
300 sites se référant à l'autisme, uniquement sur
le WEB francophone. Et tout le monde n'est pas sur Internet ! Alors, les
Appaches ? Quelle est notre place dans tout ce qui existe déjà
?
Notre ambition est éthique, tout d'abord? défendre
une certaine idée de la "personne", qu'elle soit adulte ou enfant,
adapté ou pas, professionnel ou autre? Une idée, d'abord,
de respect de l'individu, en soi, sans aucune exigence posée à
priori. On ne peut obtenir le changement que l'on souhaite (ou qu'un tiers
souhaite) par la contrainte. Question de respect.
Pour citer la philosophie qui préside au projet
de La Bourguette : que les enfants "se sentent parfois autorisés
à désirer vivre". On ne peut forcer le changement. Même
avec la meilleure intention du monde. L'enfer est pavé de bonnes
intentions !
Autre ambition : nous devons continuer à nous
former tout au long de notre "carrière". Parce que tous les jours,
nous rencontrerons de nouveaux problèmes pour lesquels nous ne sommes
pas préparés. Alors, c'est sans arrêt qu'il nous faut
nous recycler. Par "formation", nous entendons tout aussi bien nous interroger
nous-mêmes, nous laisser interpeller par nos "usagers" (être
à l'écoute), nous informer auprès de spécialistes,
qu'aller dans un centre de formation. Se former, c'est donner à
notre esprit une "forme" qui lui permette de s'adapter aux attentes des
jeunes (ou moins jeunes) dont nous avons à charge l'éducation,
la socialisation, la rééducation, etc.
Vaste programme ? Oui et non. Mais que chacun a à
sa propre charge. Dans le respect de l'autre et dans le respect de soi.
N°25
Tiens-toi droite !
Non, ce n'est pas une recommandation ergonomique !
Nous voudrions juste expliquer ce que nous concevons
comme une "Appache attitude" (pour plagier la chanson de Johnny), sans
avoir la prétention de dire : "nous, oui, on l'a..." Certainement
pas.
Tiens-toi droite ! Parce que dans notre ambition, il
nous faut "être droits", honnêtes, quoi. Toujours cette (sempiternelle)
question d'honnêteté intellectuelle ? On vous rebat les oreilles,
non ? Hélas, ce n'est pas fini ! Notre travail a cette exigence,
c'est ainsi.
Nous avons retrouvé, quasiment mot à mot
(comme quoi ce ne sont pas les théories qui séparent, mais
seulement les idéologies) nos valeurs éthiques, dans le texte
de Théo PEETERS et Rita JORDAN que nous offrons à vos réflexions.
Ne jamais être sûrs de rien, comme une chose
achevée, rechercher plutôt une chose "bien faite", mais toujours
à recommencer.
Ne jamais être assurés d'être "dans
le vrai", mais considérer, raisonnablement, toute chose comme "une
part de", comme un élément (nécessairement incomplet
et insatisfaisant) d'une totalité qui nous échappera (heureusement)
toujours.
Nous sommes en construction ("en chantier? de faire votre
connaissance" !) permanente, car chaque rencontre est nouvelle et apprentissage
à refaire.
Une philosophie ? Non, une philosophie tente d'expliquer
le monde. Une éthique ? Oui, car elle nous permet d'accepter toutes
les philosophies comme autant de manières acceptables de voir le
monde. Une morale ? Oui, presque. Parce qu'elle nous permettra d'aborder,
d'envisager, toute situation nouvelle sans à priori, avec la même
ouverture, la même disponibilité.
C'est une attitude face au monde, face aux gens, aux
rencontres, où ce n'est pas "soi d'abord", où on ne se sert
pas des autres pour résoudre (ou masquer) ses propres problèmes,
où on est attentif à ce qu'on fait, à ce qu'on dit,
où on respecte, où on se respecte.
Etre Appache, c'est ce que nous voudrions être.
Etre Appache, c'est ce que nous proposons à nos lecteurs. L'entendez-vous
dans nos colonnes ? C'est une proposition ouverte à tous (nous y
compris), car "rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa faiblesse,
ni sa force" (dit Aragon).
Tiens-toi droite !
N°26-27
Les vaches de l'an 2000 !
Souvenez-vous de l'éclipse d'août : quel
sentiment a-t-elle bien pu apporter aux vaches ? Sinon que la nuit tombait
plus tôt ce jour-là? Et, à votre avis, le fameux "passage
de l'an 2000", leur laissera-t-il une impression plus profonde ? Non, parce
que ce passage (s'il en est un) n'est qu'un événement pour
ceux qui comptent le temps. Et encore, un événement pour
ceux qui comptent le temps écoulé depuis un certain repère
d'il y a 2000 ans, car pour d'autres peuples, il n'en est rien, ni pour
les bouddhistes, ni pour les musulmans, ni pour les hindous, ni pour les
animistes africains. Certes, l'adoption d'un calendrier quasi universel
(merci la mondialisation) pour la gestion des relations internationales
standardise le calendrier occidental (grégorien). Les vaches ? Elles
s'en moquent. Et même s'il y a un "bug", elles s'en moqueront autant.
Parce qu'elles ne sont pas dans la culture.
Chaque fois qu'on évoque un grand événement,
comme ceux-ci, je ne peux pas m'empêcher de penser aux vaches, indifférentes
à nos états d'âmes (et même à nos âmes,
d'ailleurs).
Je repensais au passage de l'an 1000, qui, disait-on,
avait tant effrayé les contemporains de cette époque. Eh
bien ? C'est un mythe ! La plus grande majorité des gens ignoraient
même en quel an de grâce ils se trouvaient. Le seul repère
qu'ils avaient était celui des saisons, parce que directement en
rapport avec leurs activités agricoles, et les cloches que les prêtres
faisaient sonner pour marquer les fêtes religieuses. Seuls les "clercs"
savaient qu'il y allait avoir un changement de "millésime". Le "mythe
de l'An 1000" est né... des siècles plus tard, la "Grande
Peur" est une légende de moines.
Le passage de l'an 2000 est un fait de culture.
Mais qu'est-ce que la "culture", finalement ? C'est ce
que l'Homme (avec un grand H) met en place contre la nature. Essentiellement
contre sa nature, son animalité, contre ses instincts (ses bas instincts)
qui sont prompts à revenir dès que les barrières de
la culture et/ou de la normalité s'évanouissent (voir au
Kosovo, au Rwanda, pour ne pas remonter plus avant).
C'est quelque chose dans quoi l'enfant (célèbre
"pervers polymorphe") est introduit, progressivement, par son environnement
humain : parents, école...
Que dit Rousseau ? L'homme à l'état de
nature est foncièrement bon ? "Comme une bête", répond
quelqu'un (au fond de la classe). Mais à l'état de nature,
il n'y a aucune pitié pour les faibles, pour les démunis,
pour les handicapés. Alors ? On mesure le degré de civilisation
d'une société à l'égard qu'elle a pour les
plus faibles de ses membres ? Oh ! Quelle place ont les "plus faibles"
dans la société libérale avancée ?
Bon, changer de millésime (faute de changer tout
de suite de millénaire !) va changer quelque chose ? Nous espérons
que oui. Nous souhaitons que oui. Ferons-nous que oui ?
N°28
La position de l'observateur !
Quand il s'agit de préparer, de concevoir, de ré-diger
un projet, de quoi parle-t-on ? De l'enfant, uniquement. Comme si l'observateur
n'était pas partie prenante ! Peut-on parler d'un enfant sans parler
de sa propre implication dans la relation ? On dit, dans les sciences "physiques",
que l'observation modifie l'objet observé. Derrière quel
miroir sans tain nous dissimulerons-nous ? Avec quel microscope (à
effet tunnel ou à balayage) ferons-nous nos observations ? Et qu'observerons-nous
? Des comportements, des attitudes... un vernis. Que saurons-nous de ce
qui l'anime (ou l'éteint) ?
Bernard GOLSE dit : "L'analyse des qualités d'un
regard s'avère foncièrement indissociable de l'analyse de
son impact sur autrui." Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que le chemin
d'accès au vécu de l'autre, c'est l'attention au retentissement
qu'il provoque en nous. Les "observateurs" de la caverne de PLATON n'avaient,
comme accès à la réalité extérieure,
que le reflet, que les ombres produites sur le fond de leur caverne. Pour
autant qu'on accède jamais au réel (au sens que lui donnent
LACAN ou Virginio BAÏO), la seule approche sensible c'est l'analyse
de ses effets en nous.
C'est vrai quels que soient les enfants dont on envisage
le projet, mais plus particulièrement avec ceux qui "ne se livrent
pas".
Oh ! Ça fait peur, bien sûr, c'est naturel,
parce que c'est soi-même que l'on va observer, finalement, et pas
seulement le reflet pâle de l'enfant en nous. Mais c'est le prix
à payer. Ce n'est pas tout, d'ailleurs, car cela nécessite
aussi d'apprendre à distinguer "le tien du mien", ce qui est de
l'enfant et ce qui est de notre propre part, en réaction à
l'enfant, ce que nous "projetons" sur l'enfant.
On dit souvent qu'à défaut de pouvoir observer
avec ses yeux ou ses oreilles, il faut ressentir avec son ventre. Et essayer
de comprendre ce qui se passe en soi-même.
N°29
J'ai fait rigoler l'Audrey !
C'est une ambition dans la vie que ne me reprochera pas
Howard BUTEN ! Audrey a ri. Oui, comme une folle, c'est vrai. Mais elle
a dit là (pas à moi) qu'elle était heureuse de vivre.
C'est pas le plus important ?
On dit (mais faut-il le croire ?) qu'on ne guérit
pas de l'autisme, on dit... Pourtant, on agit, on éduque. Faut-il
les adapter à notre monde ? Leur futur, c'est la capacité
d'entrer au CAT ? D'être capable de produire, de se rendre utile
à la société ? De s'intégrer ?
Je pense aux enfants que j'ai rencontrés, aux
"enfants autistes", et j'essaie de me les imaginer "adultes" (plus vieux,
disons). Quel recul ai-je, moi, pour en parler ? Une dizaine d'années,
tout au plus. Les plus âgés sont à la maison ; il n'y
a pas de place pour eux, ni dans la société, ni dans les
CAT. Je sais que ceux qui sont jeunes actuellement n'auront guère
plus de chance. Leur destin ? Attendre que des foyers ouvrent ou les acceptent
pour soulager les parents, les fratries.
Il va leur falloir apprendre à se tenir tranquilles,
assis devant des tables de travail. Il va leur falloir apprendre à
enfiler des chaussettes dans des bagues de carton (essayez d'imaginer,
je ne vais pas vous détailler le fonctionnement d'un CAT). Il va
leur falloir apprendre à respecter un horaire, un rythme de vie.
Il va leur falloir apprendre à s'intégrer à cette
société-là, au moins.
Oui, je sais, c'est précisément mon travail
que de le leur apprendre. Justement. Qu'est-ce que je leur apprends ? A
quoi je les prépare ?
J'étais heureux de l'entendre rire. Je ne faisais
qu'entrer en relation avec elle, que lui parler, que lui souffler sur le
visage, que taper dans ses mains. Ah ! Ça valait la peine, toutes
ces années d'études !
Les meilleurs témoins des réactions des
enfants, ce sont les autres enfants, qui voient, spontanément, sans
jugements, sans arrière-pensées, qui disent : "oh ! elle
est contente !". Ce n'est pas toujours le cas pour elle.
Alors ? Ne vaut-il pas mieux qu'elle rie ? Plutôt
que d'avoir réussi cet exercice difficile ? Plutôt que d'avoir
réussi à rester une demi-heure assise sans s'agiter, sans
courir dans la salle ? Je sais bien que c'est nécessaire, que ça
fait partie du "projet" qu'on a fait, pour préparer l'avenir. Bon.
Aujourd'hui, pour moi, ce qui était important, c'est que je la fasse
rire. Et puis, il n'y a pas qu'elle qui était heureuse ! Moi aussi.
N°30 (et en avant première, pour vous !)
Tantale ou Buridan !
Si on abonde dans le sens de la psychogénèse
de l'au-tisme, par exemple, on reçoit une volée de bois vert
de la part des tenants de l'origine organique, génétique
ou métabolique. Inversement, quand on défend (ou qu'on se
contente d'exprimer) une idée propre au cognitivisme ou aux théories
éducatives, on reçoit une volée de bois vert de la
part des psychanalystes ! Que faire lorsqu'on n'est ni un théoricien
d'un "camp", ni de l'autre ?
Je parle, là, des problèmes du rédacteur
en chef ! C'est déjà pas simple. Changeons de perspective
: je suis face à un enfant (dit autiste). A quoi dois-je me référer
? Sincèrement ? Juste à l'enfant.
Que vaut-il mieux ? Ne pas pouvoir choisir ou ne pas
savoir choisir ? Etre comme Tantale ou comme Buridan (son âne, du
moins) ?
Notre idée (revenons au point de vue du rédacteur
en chef), c'est que toutes les théories sont fausses quand elles
prétendent embrasser la totalité du problème et c'est
que toutes les théories sont justes quand elles parlent d'un aspect
donné du problème. Et sans doute est-ce vrai dans tout et
pas seulement dans le cas de l'autisme ? Peut-on considérer que
l'enfant (autiste ou non) ne soit que le produit de ses gênes (tout
est inné) ? Peut-on considérer que l'enfant ne soit que le
produit de ses relations (tout est acquis) ? Peut-on considérer
l'enfant sur le seul aspect intellectuel (tout est neuro) ? L'enfant est
composite : il naît avec un potentiel hérité, il s'insère
dans un monde de communication, de relations, il s'élabore dans
un échange dialectique avec le monde environnant (depuis sa mère
jusqu'à la culture de la région qui l'accueille).
Oui, comme d'habitude, nous enfonçons des portes
ouvertes ! Ouvertes ?
Moralité ? Vous continuerez à trouver,
dans nos pages, des idées qui défriserons les uns et des
idées qui ferons bondir les autres. Non pas que nous ne soyons pas
capables de choisir (même s'il y a de tout chez les Appaches !),
comme le fameux âne. Mais parce que chaque point de vue exprimé
représente une richesse dont il ne faut pas nous priver. Parce que
ceux que nous rencontrerons sur le terrain ne serons jamais des "cas d'école",
standardisés, mais des cas unique qu'il faudra aborder à
partir de leur originalité, en utilisant les outils que nous offrent
les différentes théories, aussi diverses soient-elles.
Donc ? Ni Tantale, ni Buridan. Juste face à l'enfant.